Comment dépasser les dysfonctionnements de l’indivision ?
Cette étude porte sur les enjeux économiques et juridiques de l’indivision, particulièrement dans le cadre de la gestion immobilière. Le blocage de l’indivision, souvent dû à l’absence de cohésion entre les indivisaires et à la méconnaissance des règles de gestion existantes, peut entraîner une dépréciation importante des biens (manque d’entretien, opportunités non saisies), des risques financiers (frais judiciaires, sanctions administra- tives) et des difficultés de commercialisation. La sortie de l’indivision, qu’elle soit amiable ou judiciaire, peut être un processus complexe, souvent long et coûteux, nécessitant de nombreuses démarches et procédures. Dans l’attente de parvenir au partage, un panel d’outils juridiques existe pour faciliter la gestion de l’indivision. Une solution alternative, la cession de quote-part indivise à un tiers, émerge comme une option pour permettre à un indivisaire de se désengager rapidement tout en évitant les blocages, mais elle reste sous-exploitée.
Estelle Charleux, notaire ; Fabienne de la Porte des Vaux, notaire associée chez C&C Notaires ; Alice Depret, avocate associée chez BWG Associés ;
Marie-Astrid Delabrousse-Mayoux, directrice Braxton Indivision
Il était une fois l’indivision, un épouvantail qui a si mauvaise réputation, objet d’histoires de famille, source de tension et de conflits sans fin et annonciatrice de la fin de la famille et de son patrimoine.
Et pourtant l’indivision est née sous une bonne étoile. C’est un régime juridique simple, plutôt lisible qui ne peut en théorie réunir que des personnes consentantes dont le respect de la liberté individuelle est érigé en principe.
Ce n’est donc pas l’art qui est en cause, mais bel et bien la manière.
C’est l’absence d’envie de rester ensemble du fait de stratégies de vie différentes, la divergence d’intérêts ou la peur d’imposer son souhait et d’en assumer les conséquences qui font mauvaise presse. C’est un problème de personne et non de système juridique injuste. Il s’agit dorénavant de redonner à l’indivision ses lettres de noblesse et d’en révéler tout le potentiel et de nouveaux axes de sortie.
2 - Nous nous attacherons donc tout d’abord à rappeler les contours techniques du mécanisme de l’indivision, constatant que celle-ci produit souvent l’effet inverse de celui recherché par la loi. De fait, l’indivision peut entraîner une situation de blocage de gestion - malgré plusieurs possibilités d’assouplissements pré-
vus par la loi - et des conséquences économiques désastreuses sur une famille (1). Ensuite, nous analyserons les modalités de sorties et les possibilités développées aujourd’hui d’utiliser cette mécanique sous un angle différent, permettant de redonner à l’indivision la possibilité d’atteindre le but que le Code civil lui avait fixé (2).
1. Les contraintes techniques de gestion et les conséquences
économiques
3 - Les principales contraintes de l’indivision résident dans ses modalités de prises de décisions. En effet, nombre d’entre elles doivent être prises à l’unanimité des membres de l’indivision, ce qui crée invariablement un blocage en cas de désaccord d’un seul des membres, bien qu’existent des solutions légales conjoncturelles (A). Les possibles aménagements conventionnels n’empêchent
pas non plus ces situations de blocage (B). De sorte que lorsqu’un des membres s’oppose tant aux décisions à prendre, qu’à la sortie négociée à l’amiable, alors la situation du bien va se figer avec les conséquences nécessaires d’une absence d’entretien, savoir une dépréciation corrélative de sa valeur (C).
A. - Des règles légales rigides malgré certains assouplissements
4 - Principe de l’unanimité. – Les actes réalisés par l’indivision doivent en principe être consentis à l’unanimité, autrement dit avec le consentement de tous les indivisaires (C. civ., art. 815-3).
Il va s’agir par exemple :
• des actes qui ne relèvent pas de la gestion normale des biens indivis (l’action en contestation de la modification du règlement de copropriété d’un immeuble, ou encore une requête en inscription de faux relative à l’acte de cession d’un bien indivis) ;
• mais également des actes de disposition1 (les ventes d’immeubles, l’action en résolution d’une vente consentie par les indivisaires, la conclusion et le renouvellement des baux commerciaux, ruraux ou d’une durée supérieure à 9 ans, prise de garantie hypothécaire, etc.).
5 - Les actes pouvant être réalisés à la majorité des deux tiers de l’indivision. – Afin de faciliter la gestion de l’indivision, la loi est venue assouplir la règle de l’unanimité en lui substituant, pour la prise de certaines décisions, celle d’une majorité qualifiée des deux tiers de l’indivision (C. civ., art. 815-3). Ainsi, le ou les indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis peuvent, à cette majorité, effectuer :
• les actes d’administration relatifs aux biens indivis ;
• donner à l’un ou plusieurs des indivisaires ou à un tiers un mandat général d’administration ;
• vendre les meubles indivis pour payer les dettes et charges de l’indivision ;
• ou encore conclure et renouveler les baux autres que ceux portant sur un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal.
6 - Les actes conservatoires pouvant être réalisés sans le consentement de tous les indivisaires. – Le régime légal de l’indivision permet par ailleurs à tout indivisaire de prendre des mesures nécessaires à la conservation des biens indivis, même si elles ne présentent pas un caractère d’urgence (C. civ., art. 815-2).
Sont considérés comme des actes conservatoires ceux nécessaires ou utiles à la conservation des biens indivis. Il peut s’agir d’actes matériels (travaux de réparation pour éviter sa dégradation et mise aux normes, travaux d’entretien, etc.) ou juridiques (souscription d’un contrat d’assurance incendie d’un immeuble). Ils doivent avoir un coût proportionné à la valeur des biens concernés, raisonnable pour l’indivision et ils doivent être au service de l’intérêt général de l’indivision.
L’acte conservatoire peut être financé par l’un ou plusieurs des indivisaires. Pour cela, il est possible d’employer les fonds de l’indivision (C. civ., art. 815-2, al. 2) provenant par exemple des loyers ou ses fonds propres, à charge pour les coindivisaires de procéder à un remboursement proportionnel aux droits de chacun dans l’indivision.
Ainsi, si l’entretien du bien indivis nécessite une intervention urgente, et s’il n’a pas d’autre option, un coindivisaire peut se trouver en situation de gérer seul le bien indivis, en bon père de famille. Le coindivisaire diligent va donc prendre la casquette de mandataire tacite de l’indivision. Or, en pratique, il est fréquent que le coindivisaire mandataire tacite, non seulement ne soit pas rémunéré, mais surtout supporte toutes ces charges à ses frais. Bien entendu les dépenses qu’il va effectuer sont faites à titre d’avance pour l’indivision, et feront l’objet de comptes au moment du partage.
7 - La gestion pour le compte de l’indivision. – Pour encadrer la gestion de l’indivision, fixer une rémunération pour le gestionnaire et les modalités de financement des dépenses à effectuer, il peut être nécessaire et à tout le moins opportun de désigner un représentant de l’indivision, qui pourra administrer le bien pour le compte de tous. Ce peut être un coindivisaire qui se fera désigner en qualité de représentant de l’indivision, en accord avec ses coindivisaires, ou sur autorisation du juge. Les coindivisaires, ou l’un d’eux, peuvent également proposer la désignation d’un mandataire professionnel tiers (C. civ., art. 813). Cela impliquera de saisir le président du tribunal judiciaire, par le biais de la procédure accélérée au fond (la fameuse PAF (CPP, art. 1380)), laquelle permet un accès plus rapide à une décision (quelques mois tout de même) comme pour toutes ces mesures judiciaires utiles au fonctionnement de l’indivision.
8 - L’occupation du bien indivis par un indivisaire. – Dans de nombreuses situations, le bien indivis est occupé par l’un des indivisaires sans accord préalable des autres indivisaires (occupation à titre gratuit ou moyennant versement d’indemnités d’occupation). Or « l’indivisaire qui use ou jouit privativement de la
chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d’une indemnité (C. civ., art. 815-9, al. 2) ». Il faut et il suffit, pour que l’indemnité soit due, qu’il y ait jouissance privative du bien indivis. Par exemple, lorsque les indivisaires ont tous un accès au bien indivis, aucune indemnité ne sera due. Il faut pour cela que l’un
des indivisaires n’ait pas les clés.
ATTENTION
➜ L’action en paiement de l’indemnité est soumise à la prescription quinquennale. À défaut de saisine du juge dans ce délai, l’indemnité ne pourra pas excéder les 5 dernières années (étant précisé qu’en cas d’indivision conjugale, il faudra attendre que le jugement de divorce soit passé en force de chose jugée). Elle sera en principe payable lors du partage. Pour anticiper, il est possible de demander une avance sur ses droits dans le partage ou encore sa quote-part annuelle dans les bénéfices de l’indivision (C. civ., art. 815-11).
Quant au montant, en l’absence d’accord entre les parties, c’est au juge de fixer cette indemnité, lequel ne peut renvoyer sur ce point au notaire liquidateur. Il s’agira en pratique de se référer à la valeur locative du bien déduction faite de l’abattement d’usage de 20 %, qui ne présente toutefois pas un caractère impératif.
En dernier recours, il pourra être demandé par la voie judiciaire le départ forcé du coindivisaire occupant le bien indivis sans accord préalable. Néanmoins, l’expulsion effective est soumise au temps judiciaire et au concours de la force publique ce qui peut être long voire refusé par la préfecture s’il n’y a pas d’options de relogement.
9 - Les dégradations du bien indivis par un indivisaire. – Enfin, l’indivisaire qui est responsable « par son fait ou par sa faute » de « dégradations ou de détériorations » qui ont diminué « la valeur du bien indivis » doit en répondre (C. civ., art. 815-
13, al. 2). L’indivisaire est alors débiteur d’une indemnité réparatrice à l’égard de l’indivision.
ATTENTION
➜ S’agissant d’une dette de valeur, c’est toutefois à la date du partage que cette indemnité doit être évaluée puisque ce n’est qu’à cette date que pourra être mesurée la perte de valeur consécutive au comportement de l’indivisaire. Mais si la demande en réparation est antérieure au partage, le montant de l’indemnité devra être fixé selon la perte de valeur évaluée à la date de cette demande.
Outre ces mesures légales de facilitation de la gestion de l’indivision, les indivisaires peuvent bien entendu conclure des conventions relatives au régime de leur indivision, les règles édictées n’étant pas impératives et pouvant toujours être remplacées par un régime conventionnel plus adapté.
B. - Les assouplissements conventionnels : la convention d’indivision
10 - Rappelons que les règles légales applicables à l’indivision ne sont pas, sauf exception, d’ordre public. Elles s’appliquent à titre supplétif lorsqu’aucune convention n’a été régularisée entre les membres d’une indivision. Ainsi, les indivisaires sont en droit de conclure des conventions relatives aux modalités de jouissance des biens indivis, à la répartition des bénéfices et des pertes, à la participation aux dépenses de l’indivision, etc. De sorte que la gestion de l’indivision peut être adaptée aux besoins de ses membres et aux spécificités des biens concernés, dans la mesure où il y a un accord préalable de ses membres sur les règles qui vont s’appliquer entre eux.
La convention d’indivision peut être régularisée par les coindivisaires afin de gérer leur relation et les biens indivis.
ATTENTION
➜ Sous peine de nullité, elle doit être établie par écrit comportant la désignation des biens indivis et l’indication des quotes-parts appartenant à chaque indivisaire.
11 - Gestion de l’indivision. – Afin de faciliter la gestion des biens indivis, les intéressés peuvent dans le cadre de cette convention en confier la responsabilité à un ou plusieurs gérants, choisis ou non parmi les indivisaires. Ce dernier est nommé selon les modalités et dans les termes convenus dans la convention par une décision prise à l’unanimité des indivisaires (V. supra) (C. civ., art. 1873-5, al. 1er).
REMARQUE
➜ Les modalités de révocation du gérant de l’indivision peuvent être prévues dans la convention. En toute hypothèse, la révocation du gérant peut être prononcée par le tribunal s’il met en péril l’intérêt de l’indivision par ses fautes de gestion.
12 - Enregistrement et publicité de la convention d’indivision. – En présence d’immeubles indivis, les formalités de la publicité foncière s’imposent afin de lui permettre son opposabilité aux tiers notamment (C. civ., art. 1872-2, al. 2). Toutefois, le défaut de publicité ouvre seulement droit à dommages-intérêts au
profit des tiers qui ont subi un préjudice, et ne sanctionne pas la convention de nullité.
13 - Consentement et capacité. – L’établissement de la convention d’indivision requiert le consentement de tous les indivisaires ainsi que leur capacité ou leur pouvoir de disposer des biens indivis. La convention peut être conclue au nom du mineur par son représentant seul. Dans cette hypothèse, il pourra y mettre fin
dans l’année qui suit sa majorité, et ce peu importe la durée de la convention (C. civ., art. 1873-4).
14 - Durée et révocation de la convention d’indivision. – Une convention d’indivision peut être faite pour une durée déterminée ou indéterminée.
Si elle est conclue pour une durée déterminée, elle ne doit pas excéder 5 ans et est révocable dans les termes de l’indivision. À son terme, elle peut être renouvelée par convention ou par tacite reconduction si cette possibilité a été pré-
vue dans la convention initiale. À défaut de reconduction ou de renouvellement, la convention cesse et l’indivision est régie par les règles de l’indivision légale (V. supra).
Si elle est conclue pour une durée indéterminée, elle est révocable à tout moment.
Toutefois, la convention conclue pour une durée limitée devient à durée indéterminée dans trois hypothèses :
• l’entrée dans l’indivision d’un étranger (évènement qui peut être provoqué par la cession, l’échange, la donation ou le legs particulier d’une quote-part indivise) (C. civ., 1873-12 al. 2) ;
• la révocation d’un gérant indivisaire (C. civ., 1873-5, in fine) ;
• la transmission à titre universel, en l’absence de clause contraire, d’une quote-part indivise aux héritiers ou aux légataires universels ou à titre universel, d’un indivisaire défunt.
15 - En dépit de ces assouplissements permis par la convention d’indivision, les dispositions citées ne règlent malheureusement pas toutes les situations de blocage entre les indivisaires.
Dès lors, il n’est pas rare de voir des biens bloqués dans des situations attentistes, les règles légales de gestion ayant abouti à l’impossibilité d’une prise de décision, et les règles conventionnelles n’ayant pu aboutir et être mises en place, ou ayant elles-mêmes abouti à un désaccord de gestion qui fige le bien dans une absence
de gestion.
C. - L’impact économique du blocage de gestion
16 - Dépréciation de la valeur. – L’impact économique du blocage de l’indivision ne se mesure pas uniquement aux frais engagés dans une procédure judiciaire de sortie. Avant même d’emprunter le chemin de la sortie de l’indivision, le simple blocage de gestion peut durer des années et avoir des impacts considérables sur le bien quel que soit le type d’actif (résidentiel comme un château, immeuble ou appartement ou commercial, terrain, bureau, etc.).
L’absence de cohésion entraîne un délaissement dans la gestion des biens immobiliers impactant leur valeur :
• manque d’entretien régulier (parties communes, révision toiture, façade, structure, etc.) pouvant entrainer des problèmes structurels ou des injonctions administratives comme une mise en péril d’un immeuble délaissé ;
• absence de rénovation continue (isolation, changement des fenêtres, mise en place d’une pompe à chaleur générale, etc.) sanctionnée par de mauvais DPE (note F ou G) et opportunité non saisie d’obtenir des aides à la rénovation énergétique ;
• absence de prise en main des sujets liés à la location (loi du 1er septembre 1948, sous-location, sous-loyers, absence d’indexation, non-suivi des impayés, interdiction de louer selon la note du DPE, etc.) ;
• gestion passive des locaux commerciaux avec des impacts financiers parfois considérables (sous-loyers, impossibilité de déplafonner, charges non refacturées, etc.) ;
• non-régularisation de la destination ou de l’usage de certains lots empêchant leur mise en location et la perception de revenus additionnels (exemple : changement de destination d’un local en habitation, ou d’une habitation en commerce pour exercer de la location saisonnière) ;
• espaces non exploités (caves, greniers, garages ou autres dépendances) pouvant être valorisés en les louant par exemple ;
• terrains non exploités (constructibilité d’entrepôt logistique non investiguée, terres agricoles non louées, installation de panneaux solaires) ;
• opportunités de défiscalisation non saisies (Pinel, Malraux, etc.) impactant le rendement des actifs.
Cela pourra également se traduire par des conflits avec les locataires ou des sanctions pour non-conformité réglementaire se traduisant par des amendes ou procès.
L’absence de stratégie dans la gestion des actifs immobiliers implique une dévalorisation certaine voire une exposition à des risques financier ou légaux.
Elle se soldera également par une commercialisation plus difficile au jour où l’un des indivisaires voudra forcer la sortie de l’indivision, ou même au jour où tous s’entendent enfin sur une cession amiable.
En effet, les investisseurs factoriseront toutes les initiatives à mettre en place pour effectuer le travail non réalisé par l’indivision et tiendront compte des risques associés (exemple : baux mal négociés, bail en désaccord avec la destination) dans leur prix de reprise.
L’impact final peut se chiffrer en centaines de milliers d’euros voire millions selon le patrimoine.
2. La sortie de l’indivision
17 - Contraintes techniques liées à la sortie de l’indivision. – Les indivisaires n’ont pas l’obligation de rester dans l’indivision (C. civ., art. 815).
D’une part, chacun des indivisaires est libre de céder à un membre de l’indivision ou à un tiers tout ou partie de ses droits indivis.
D’autre part, chaque indivisaire a le droit de demander le partage, correspondant à l’ensemble des opérations à l’issue desquelles l’indivision cesse. En cas de refus du partage amiable par les indivisaires, il sera nécessairement judiciaire.
Il y a près de 20 ans, le législateur a essayé de favoriser les partages et de limiter dans le temps la liquidation des indivisions, par l’introduction de la notion de partage en valeur, de la possibilité de désigner un représentant pour l’indivisaire défaillant, ou encore de vendre sur autorisation judiciaire le bien indivis sans l’unanimité. Malheureusement, ces mesures qui étaient attendues restent limitées, et le temps du partage est toujours très long.
18 - Tentative de partage amiable. – Avant de saisir le tribunal d’une demande de partage judiciaire, il convient de justifier avoir tenté de procéder amiablement au partage. Cela veut dire qu’il faut démontrer avoir réalisé de véritables démarches destinées à procéder aux opérations de partage (telle qu’une proposition de répartition des biens, ou de comptes entre les indivisaires), et il ne suffit pas de justifier que des échanges ont eu lieu entre les coindivisaires. Il peut donc déjà s’être écoulé plusieurs mois avant que le juge ne puisse être saisi.
19 - Étapes de la procédure judiciaire. – Ensuite, si la demande afin de partage judiciaire est recevable, la procédure en elle-même va impliquer plusieurs étapes :
• une première étape au cours de laquelle il va être demandé au tribunal de trancher des désaccords (existence de donations déguisées devant intégrer la masse à partager, valorisation du bien, etc.) avant de désigner un notaire qui procédera au partage, sous l’égide d’un juge commis.
Toutefois, en pratique, on s’aperçoit que les tribunaux tranchent peu les difficultés qui leur sont soumises à ce stade. Et ce constat ne va pas aller en s’améliorant, la Cour de cassation venant de confirmer, par un revirement de jurisprudence, que ne méconnait pas son office le juge qui, saisi de demandes au stade de l’ouverture des opérations de partage, estime qu’il y a lieu de renvoyer les parties devant le notaire afin d’en permettre l’instruction ;
• s’ouvre alors une deuxième étape, devant le notaire désigné. Ce notaire va réunir les parties, lister les actifs indivis, les comptes à effectuer, et les points de désaccord, pour restituer au tribunal un rapport, qui peut, dans certains cas, s’apparenter à un projet d’état liquidatif abouti. Mais ce n’est pas automatique. En effet, le notaire, même si désigné judiciairement, n’a pas quant à lui de pouvoir
juridictionnel. Et, bien souvent, il se trouve bloqué pour avancer dans ses opérations de liquidation lorsque certains points ne sont pas tranchés (par exemple celui de la date de jouissance divise ou encore la reconnaissance d’une créance d’indivision revendiquée par l’un et contestée par l’autre). On pourrait évidemment imaginer que le juge commis soit le soutien du notaire pour trancher ces points, mais pas vraiment en réalité… Le juge commis va contrôler les opérations, leur bon déroulé, peut faire la « police » de l’instruction, enjoindre à une partie de communiquer un document, enjoindre au notaire d’accélérer son analyse, etc. Mais il ne tranchera pas les points de désaccords juridiques ;
• il va alors falloir attendre le rapport du notaire qui sera transmis au tribunal, pour demander au juge du fond de trancher les points litigieux. Dans l’attente, le notaire aura bien du mal à rédiger un projet d’état liquidatif et ce ne sera qu’après une nouvelle navette entre le tribunal et le notaire que le partage pourra, in fine, être
entériné (étant précisé que la Cour de cassation vient de préciser que les demandes nouvelles formulées par les coindivisaires sont recevables tant qu’un projet d’état liquidatif n’a pas été dressé…).
REMARQUE
➜ Enfin, il n’est pas inutile de préciser qu’à l’issue de toutes ces étapes, le tribunal ne pourra pas décider de l’attribution du bien à tel ou tel coindivisaire. Il pourra uniquement procéder au tirage au sort des lots proposés par le notaire,
ou, et seulement si ce tirage au sort n’est pas envisageable (par exemple en présence d’un seul bien indivis) ordonner la vente du ou des biens concernés.
La réponse ministérielle Belin en date du 2 mars 2023 est venue annoncer la conduite d’une réflexion afin de simplifier les procédures de partage judiciaire des indivisions, confirmant, à l’appui d’un rapport de l’inspection générale de la justice, les partages judiciaires comme étant trop longs et complexes. Affaire à suivre
donc…
Mais, pendant ce temps, le bien qui resterait inoccupé, ou non entretenu, risque de perdre de la valeur comme évoqué ci-dessus. Le temps est dès lors subi par l’indivision et la voie judiciaire peut paraître sans fin.
A. - Solution alternative à la procédure contentieuse : la conciliation
20 - Si les coindivisaires ne parviennent pas à s’entendre et à élaborer une convention d’indivision qui leur convienne, ou encore si certains d’entre eux souhaitent sortir de l’indivision, parce qu’ils ont un projet d’acquisition personnelle ou simplement un besoin de trésorerie, eu égard aux contraintes liées à la procédure de partage judiciaire qui peut être frustrante, et violente pour les
familles, on ne pourra alors que leur conseiller de tenter de se rapprocher pour trouver une solution de sortie amiable.
Et ce d’autant plus que, dès lors que le tribunal est saisi d’une demande de partage judiciaire, et particulièrement d’une demande de partage judiciaire de succes-
sion, il va fréquemment ordonner une mesure de médiation judiciaire préalable. Concrètement, le tribunal va inviter les parties à se rapprocher, autour d’un média-
teur, pour évoquer les difficultés auxquelles ils font face et tenter de parvenir à un accord pour y remédier avant le jugement à intervenir. À Paris, le Centre de Médiation et d’Arbitrage des Notaires de Paris (CMANOT) est désigné, et des notaires, souvent honoraires, réunissent ainsi les héritiers/coindivisaires, au cours de quelques réunions plénières ou en aparté pour tenter de leur faire dépasser
les points bloquants.
Avant même l’introduction d’une procédure, ou parallèlement à cette procédure, il faut donc tenter la conciliation, parce qu’elle est obligatoire pour assigner, mais surtout parce que les coindivisaires vont bien souvent, au bout du chemin, basculer vers la régularisation d’un partage amiable. Parce que même en présence d’un partage judiciaire, il faudra abandonner certaines prétentions, revoir
son appréciation de la valeur du bien, etc.
21 - Dans le cadre de cette conciliation, qu’elle ait lieu avant la procédure, pendant la médiation judiciaire ou après la désignation d’un notaire commis, il est important pour les coindivisaires de se faire accompagner, pour dégager une solution qui soit respectueuse des droits de chacun, et cohérente juridiquement. La présence de l’avocat, et du notaire, doit rassurer les parties et ne pas envenimer ou faire craindre la fin de l’unité familiale. Pour décider sereinement des modalités de partage, il faut en effet un sachant, et un représentant de chaque coindivisaire, lesquels permettront aux coindivisaires de se concentrer sur leurs liens souvent familiaux et de déléguer les questions techniques à leurs conseils.
Et quand toutes ces tentatives restent vaines, et que malheureusement la conciliation ne permet pas le partage amiable, alors le coindivisaire peut se tourner vers le juge qui tranchera les désaccords. Notons toutefois qu’une autre carte peut être jouée et aurait même pu être investiguée au préalable.
B. - Comment la cession de ses droits indivis peut être une alternative
22 - Cession d’une quote-part indivise. – Depuis quelques années, un nouveau marché émerge : la cession de quote-part indivise à un investisseur tiers. Cette solution, bien que peu connue, permet à un indivisaire de vendre sa quote-part indivise à un tiers investisseur sans passer par le partage classique de l’indivision, offrant ainsi une alternative face aux situations de blocage. Braxton Indivision développe une expertise pour accompagner les indivisaires dans ces transactions spécifiques.
23 - Valorisation de la quote-part indivise. – La valeur d’une quote-part indivise est déterminée en considération de la valeur de l’actif immobilier et de la complexité de l’indivision. Cette complexité varie selon plusieurs critères : nombre d’indivisaires, occupation d’un bien par un indivisaire, âge des indivisaires, type de démembrement, etc.
En effet, l’acquisition d’une quote-part indivise comporte des risques et des difficultés à anticiper pour un acquéreur tant sur la durée de détention que sur les charges et les coûts qui y sont associés (entretien, impôts, frais judiciaires potentiels). La valorisation de la quote-part indivise est donc susceptible de subir une décote comparativement à la vente d’un actif vendu en pleine propriété.
24 - Opportunité de la cession de la quote-part indivise. – Cette cession peut représenter une solution qui permet pour l’indivisaire sortant :
• une liquidité immédiate : la vente d’une quote-part indivise offre une sortie rapide de l’indivision, ce qui permet d’obtenir des fonds immédiatement. Ces fonds peuvent être réinvestis de manière plus efficace en dehors de l’indivision, offrant potentiellement de meilleures opportunités de rendement ;
• des coûts évités : au-delà d’une liquidité bloquée, des charges continues (travaux d’entretien, réparations, honoraires de gestion, assurance) et les impôts (impôt sur les revenus des loyers, taxes foncières, etc.) peuvent rapidement s’accumuler et réduire considérablement la valeur nette obtenue ;
• une liberté financière et décisionnelle : en sortant de l’indivision, l’indivisaire se dégage des contraintes liées à la gestion collective d’un bien, ce qui offre plus de flexibilité pour d’autres investissements ou projets personnels.
25 - La purge du droit de préemption au coindivisaire. – La vente d’une quote-part indivise ne requiert pas l’accord des autres indivisaires mais le projet de vente du bien immobilier indivis doit être notifié à l’ensemble des membres de l’indivision
par acte extrajudiciaire. L’information doit comprendre notamment l’identité des vendeurs et les quotes-parts concernées et non concernées par l’opération, les coordonnées du notaire, et plus largement les conditions de la cession projetée ainsi que les nom, domicile et profession de la personne qui se propose d’acquérir le bien (C. civ., art. 815-14, trois derniers al.).
En d’autres mots, les coindivisaires ne peuvent empêcher l’indivisaire désireux de sortir de l’indivision mais ils ont un droit de regard prioritaire et la possibilité de préempter la quote-part s’ils ne souhaitent pas voir une tierce personne entrer dans l’indivision.
De plus, la temporalité de cette préemption est encadrée par le Code civil :
• les coindivisaires disposent d’un mois à compter de la notification par voie extrajudiciaire pour exprimer leur volonté de préempter ;
• une fois cette volonté exprimée, ils disposent de 2 mois pour acquérir la quote-part indivise.
Cette solution ne lèse donc pas l’indivisaire sortant puisque, s’il y a une préemption, celle-ci doit s’opérer dans l’espace temps indiqué par le Code civil et ne peut perdurer sans quoi le tiers pourra acquérir la quote-part indivise.
Cette option de sortie témoigne de l’incursion économique dans un mécanisme jusque-là majoritairement judiciaire offrant plus de flexibilité, d’opportunités, mais surtout un temps considérablement raccourci aux indivisaires pour gérer effica-
cement leur patrimoine immobilier.